M’a-t-on fusillée pour l’amour de la liberté ou celui des allemands ? Ou pour l’illusion d’avoir vécu ?
Longtemps, je regardais avec crainte les camions militaires, encore nombreux, qui circulaient dans les rues que je fréquentais, à vélo souvent, dans cette ville au passé perdu qui était aussi et encore une ville de garnison, longtemps après avoir perdu ses remparts, ses forts et son importance stratégique. J’aurais pu me méfier des camions militaires comme des autres qui, lancé à trop vive allure, menaçaient le pauvre cycliste qui se rangeait comme il pouvait. Mais c’était autre chose, cela renvoyait au-delà de ma conscience, à une vie antérieure.
Les âmes existe-t-elles ? Reviennent-elles errer encore là où elles ont été ? Tout porte à croire que non, tout porte à croire que la fin est vraiment la fin, sans retour. Et pourtant, je craignais les camions militaires. Mais ces camions, je ne les reconnaissais pas, ceux que je voyais n’étaient pas ceux qui m’imprégnaient. Les âmes changent peut-être d’époque et de lieu. Pour le temps, cela ne pouvait être bien ancien puisqu’il y avait ces camions. Mais pour le lieu, tout était ouvert : le monde se relevait à peine d’une époque de terreur et si mon âme avait connu un corps quelques années plus tôt, ce pouvait bien être fort loin de cet endroit où les camions militaires m’inquiétaient.
M’avait-on vraiment fusillée ? Je le saurai peut-être au prochain passage s’il en est un.